Les progrès techniques, l'accumulation de normes, de règlements, de préconisations ou de diktats n'ont malheureusement pas abouti à une meilleure sécurité du patient. Elles ont entraîné des régressions fonctionnelles qui font perdre toute crédibilité à une stratégie de dématérialisation des échanges en santé au service de la rapidité, de la qualité et de la sécurité.
Il n'appartient pas à l’émetteur d'une donnée d’imposer à son destinataire, prescripteur d’un avis spécialisé ou d’un examen complémentaire, les modes de réception et de transmission qu'il va devoir choisir.
À ne se préoccuper que de ses capacités d’émission et à ignorer les possibilités de réception de son correspondant, l'émetteur s'exonère bien mal de sa responsabilité, car il se doit de faire parvenir de manière correcte et compréhensible le résultat d'une prescription au médecin demandeur qui, la plupart du temps, ne peut agir sur les normes que son logiciel lui permettra d'utiliser.
Une telle obstination s'apparente au fait que certains médecins étrangers arrivés en France pourraient imposer aux autres praticiens l'utilisation de leur langue natale, au mépris de tout souci d'être compris.
L'un de mes meilleurs amis est d'origine iranienne. Il est médecin et s'il lui prenait l'envie de m'écrire en Persan, nous rencontrerions sans doute les plus grandes difficultés à nous comprendre.
Pourtant, le risque pour les praticiens est concret…
En effet, Stéphanie TAMBURINI, juriste, publie, le 2 juin 2016, son analyse d'un jugement du 2 février 2016* imposant au prescripteur la responsabilité de lire les images des examens radiographiques qu'il a sollicités, sans se contenter de la lecture du compte rendu rédigé par le radiologue. Elle retient de cette décision qu'un praticien, non spécialisé en imagerie, peut se voir reprocher de ne pas avoir porté un diagnostic que le radiologue n'était pas parvenu à faire avant lui. Effectivement, le non-spécialiste est lui aussi tenu à une obligation de moyens. Le respect de cette obligation est apprécié à l'aune des moyens dont dispose le médecin pour poser un diagnostic au regard notamment de ses compétences. La responsabilité du non-spécialiste est appréciée avec moins de sévérité que celle du radiologue, mais elle n'est donc pas exclue par principe.
Cette décision nous interpelle à son tour, d'autant plus que dans certaines villes, les radiologues fournissent qu’un compte rendu et ne fournissent plus d'images imprimées, mais dans le meilleur des cas, un CD-ROM contenant les résultats de l'examen.
Dernièrement, un de mes correspondants, spécialiste en traumatologie et orthopédie, m'expliquait que son ordinateur, un MacBook (Apple), ne comportait pas de lecteur de CD-ROM, média devenu à l'évidence obsolète pour les fournisseurs de matériel informatique, et qu'il lui était totalement impossible de lire les examens radiographiques, force était de se contenter de lire le compte rendu.
Les juges estimeront-ils que l'absence de lecteur de CD-ROM est un argument suffisant pour justifier qu'un spécialiste émette un avis tout en se dispensant de visualiser les images qui ont été capturées par le radiologue ?
Un émetteur de données de santé peut-il se dispenser de connaître la capacité qu'a le prescripteur d'un examen de lire les résultats tels qu'il les fournit et cela au détriment évident du patient ? Rappelons que l'effecteur de l'examen complémentaire est responsable du patient jusqu'à ce que le prescripteur de l'examen (ou le médecin traitant) ait pu le prendre en charge.
Il y a quelques années, les examens radiologiques étaient envoyés sur des serveurs d'imagerie. Dans les messages de compte rendu d'examen, il existait un lien qui pointait vers les images présentes sur ce serveur et cela permettait à tout à chacun, lecteur de CD-ROM ou pas, de prendre connaissance des images et d'en faire l'usage qui lui convenait dans l'exercice de son art.
Faut-il, à l'avenir, que les patients accèdent à leur dossier d'imagerie et impriment à leurs frais les images les plus pertinentes ? Faudra-t-il que le médecin traitant ou le spécialiste consulté s'en satisfasse pour poser son diagnostic ?
L'intérêt du patient veut que les praticiens collaborent entre eux, en « mettant de côté » leurs prés carrés et prérogatives. Il existe des normes de transfert de données utiles aux soins qui prennent en compte la capacité de l'autre à comprendre, à lire, à intégrer dans ses outils de gestion de dossiers patients ou de logiciels d'aide à la prescription.
L'APICEM a toujours pris en compte les usages puis les règles qui s'imposent naturellement quand elles apportent une amélioration réelle de la qualité ou de la sécurité de l'exercice du professionnel de santé. Pourtant, un de nos collaborateurs me citait dernièrement cette phrase, certes un peu caricaturale, mais qui interpelle : "Il est devenu plus dangereux de nos jours d'échanger des informations par voie dématérialisée qu'il y a 20 ans"…
Ces complications, dans un paysage qui auparavant ronronnait d'une certaine quiétude et où chacun tendait à légiférer sans se soucier du contexte et des réalités de terrain, doivent nous contraindre à renverser la vapeur et nous conduire à la mise en œuvre de mécanismes de sécurité ou de mesures d'améliorations fonctionnelles.
Pour l'APICEM, c'est un combat quotidien et un travail de bénédictin, mais il y va de la sécurité sanitaire de ceux dont nous avons la charge.
Toutefois, les militants de ce discours le porteront-ils encore assez longtemps ou devrons-nous subir indéfiniment ?
* Source : https://www.macsf-exerciceprofessionnel.fr/Responsabilite/Actes-de-soins-technique-medicale/compte-rendu-radio-responsabilite-radiologue